Sauvetage des Archives nationales du Cameroun

Sauvetage des Archives nationales du Cameroun

Par Esther Olembé

La difficulté pour tout responsable des Archives nationales dans les pays en développement à l’instar du Cameroun est toujours de réussir à démontrer aux pouvoirs publics qu’il est important de prioriser les politiques archivistiques à côté des autres actions « naturellement prioritaires » telles que la santé, l’éducation ou les autres infrastructures de communication, dans un contexte de rareté des ressources. Il s’agit dès lors d’être inventif et persuasif lorsqu’on aborde la question des archives.

Maquette du nouveau bâtiment des Archives nationales du Cameroun

L’expérience camerounaise en la matière est assez édifiante.  La stratégie adoptée a constitué à bâtir un discours sur le véritable rôle des archives dans la gestion d’un État.  Il a été établi, avec preuve à l’appui, que les archives sont un outil d’aide à la prise de décision, un instrument de gestion et de garantie des droits, une documentation historique de recherche, un enjeu culturel et d’identité. Il en résulte l’urgence pour le gouvernement de repositionner les Archives Nationales dans leurs prérogatives régaliennes de conservation et de diffusion de la mémoire collective, et d’en faire un fleuron au service de la bonne gouvernance, de la gestion stratégique de l’État et de l’économie.

Au-delà de la dimension patrimoniale, les questions d’imputabilité, de reddition des compte, de traçabilité de l’action publique, de responsabilité des agents publics, de lutte contre la corruption et de transparence sont fortement tributaires des archives et de la gouvernance documentaire1, à l’appui d’un dispositif d’archivage moderne et sécurisé, facteur de renforcement du suivi participatif de la gestion des affaires publiques et de diffusion systématique des informations sur les actes publics.

En outre, la mise en œuvre de la Vision d’émergence du Cameroun et le Plan de réforme de l’administration publique adossé à la bonne tenue des Archives de l’État, le contexte de la décentralisation qui commande le développement de l’intelligence territoriale et la mise en place des dispositifs de conservation, de sécurisation et de communication de l’information ainsi que la lutte contre le terrorisme imposent la mise en place d’un système centralisé et sécurisé des documents et des informations.

L’urgence d’une mise en cohérence d’un ensemble de projets d’envergure nationale (e.gouvernement, biométrie, développement des data-center, etc.) piloté indifféremment par les secteurs public et privé, tributaire de l’intégration et de la généralisation de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans le travail administratif laissé aux seules mains des informaticiens, notamment la dématérialisation des processus, ont été l’autre argument pour remettre sur orbite les Archives nationales. En effet, parce qu’elles sont la banque informationnelle de l’État elles interviennent en amont et en aval du processus de production et d’organisation de l’information en définissant dans le cas des informations issues des transactions numériques les modalités de structuration, de description, les conditions d’interopérabilité des outils logiciels utilisés et d’extraction d’informations probantes et historiques en vue de leur conservation dans un système d’archivage électronique national.

Par ailleurs, la perspective de la déclassification de certaines archives coloniales et, éventuellement leur rapatriement au Cameroun, commandent de disposer d’une infrastructure et des équipements appropriés.

Le plan de sauvetage des Archives Nationales : une stratégie en phase avec la vision de développement du Cameroun

Les éléments de langage énoncés ci-dessus en vue de bâtir un plaidoyer en faveur de la restructuration des Archives Nationales ont permis de dégager cinq axes clefs, soulignant la nécessité de disposer d’une politique archivistique volontariste. En effet, les archives sont :  

  • un instrument au service du mécanisme de prise des décisions
  • un outil pour une bonne gestion des affaires du Cameroun
  • une source d’information
  • un moyen de justification des droits du Cameroun et de ses citoyens
  • un élément pour la sécurité, l’identité et la souveraineté nationales…

Aussi, il a été proposé au gouvernement un plan de sauvetage, véritable cause nationale, en vue de l’élaboration d’un vaste programme ambitieux et forcément onéreux visant à rompre avec deux siècles de désordre documentaire. Le plan de sauvetage constitué de six composantes devrait prioritairement répondre aux questions liées au cadre juridique et institutionnel, à l’inventaire du patrimoine archivistique ou qu’il se trouve, aux infrastructures et équipements de conservation, à la numérisation et l’archivage électronique sans oublier celle du développement des ressources humaines et de l’assistance technique aux administrations.

L’objectif général du plan de sauvetage des Archives Nationales vise à mettre en place un système d’archivage national intégré dans le plan du développement global du Cameroun. 

Les objectifs spécifiques quant à eux se déclinent comme suit :

  • Rompre le cycle de l’accumulation anarchique des documents dans toutes les administrations publiques, parapubliques et les collectivités territoriales décentralisées.
  • Renforcer la prise de conscience, pour les responsables des services publics, de l’importance de la gestion des documents et des archives.
  • Liquider le lourd passif de la mauvaise gestion des archives.
  • Disposer des bâtiments d’archives (Siège des institutions, régions et départements) modernes et sécurisés qui honorent le Cameroun.

En définitive…

Les actions de plaidoyer engagées depuis 2016 auprès des pouvoirs publics ont permis de poser la question de la restructuration des Archives Nationales. Cette restructuration est désormais actée à la faveur de l’Arrêté n°003/CAB/PM du 17 janvier 2018 portant création, organisation et fonctionnement du Comité interministériel chargé de la restructuration des Archives Nationales, avec pour mission principale la mise en œuvre du plan de sauvetage des Archives Nationales. A l’occasion de la 8e conférence annuelle du Conseil International des Archives en novembre 2018, organisée pour la première fois en terre africaine au Cameroun, le gouvernement du Cameroun avait pris des engagements fermes devant la communauté archivistique internationale en vue de prioriser désormais les politiques publiques en matière d’archive. Cela s’est traduit par la mise en œuvre du projet pilote (en cours d’exécution) de réhabilitation et d’extension des bâtiments abritant les Archives Nationales à Yaoundé et à Buea pour un montant global de 5 milliards de Francs CFA (environ huit millions d’euros) hors équipements.


Note

  1. La gouvernance documentaire est la stratégie et l’organisation définies afin de gérer, sécuriser, partager, conserver, valoriser et maîtriser l’information et la connaissance en vue d’améliorer l’efficacité d’une administration.

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